L’édito confiné des co-président(e)s
Les abatteuses se sont tues pendant 2 jours, le temps que le gouvernement déclare la filière bois prioritaire. 2 jours !… ça n’a pas traîné. Pas le temps d’imaginer une trêve pour la forêt.
On peut y voir là la démonstration d’un lobby bien organisé et puissant. En effet, depuis, le balai des abatteuses a repris de plus belle. On les entend de loin, maintenant que la quasi totalité des autres véhicules se sont tus, un ronronnement lointain qui vient d’au-delà de la crête, rythmé par les coups stridents de la tronçonneuse qui débitent l’arbre en sections, en alternance avec le gémissement des branches arrachées au tronc par la tête d’une abatteuse qui le fait rouler dans ses griffes.
Les Morvandiaux le reconnaissent maintenant de bien ce bruit, symbole de la mécanisation, de l’industrialisation de la forêt, de la disparition des écosystèmes forestiers diversifiés et de l’enrésinement du Morvan.
“Pendant le confinement et le pseudo-déconfinement,
les coupes rases continuent de plus belle”
Pendant le confinement et le pseudo-déconfinement, les coupes rases continuent de plus belle, peut-être même qu’elles s’accélèrent : plus personne pour voir, plus personne pour critiquer, plus personne pour manifester… c’est interdit !! Et, comme vexée de s’être fait doubler, l’agriculture industrielle n’est pas en reste et multiplie aussi les arrachages de haies…
Mieux les exportations de grumes (troncs d’arbre) vers la Chine ont continué de plus belle au moins jusqu’au début du confinement. Les containers sillonnent le Morvan et les alentours, marqués aux couleurs de transporteurs marins chinois pour regagner les ports du nord de l’Europe. Juste avant le confinement 6 camions se sont arrêtés au Carrouège de Vauclaix pour demander leur route à des militants d’Adret Morvan. Pendant le confinement un bûcheron s’est confié à nos caméras alors que la coupe rase était en cours après exportation des plus belles grumes de chêne vers la Chine via un port belge. Même la filière industrielle se plaint : la revue « Bois magazine » estime que depuis 5 ans, les scieurs (de chêne) manquent de volume en raison du fort niveau d’exportation vers la Chine »… Le reste part par grumiers quasi systématiquement en surcharge. L’un d’entre eux a été contrôlé il y a quelques jours à 75 t au lieu de 45.
Nous payons aujourd’hui notre agression démesurée
à l’environnement et à la biodiversité
Avec le COVID 19, nous payons aujourd’hui notre agression démesurée à l’environnement et à la biodiversité, mais ce n’est qu’une gracieuse alerte au regard des effets attendus du changement climatique et de l’effondrement de la biodiversité. Beaucoup de signes montrent que cette alerte n’est pas encore vraiment perçue comme telle par nos élites. Pourtant c’est probablement une des dernières chances de pouvoir modifier profondément la société avant un changement climatique incontrôlable, irréversible et incompatible avec la vie humaine.
La séquence que nous venons de vivre (gilets jaune, grève des hôpitaux, réforme des retraites, COVID19… démontre, s’il en était besoin, que les questions sociales, démocratique, économique et environnementale sont liées. Si l’économie continue à détruire la biodiversité, on ne s’en sortira pas avec des « mesures compensatoires » ! Si elle continue à aggraver les inégalités, on ne s’en sortira pas non plus en jetant des miettes aux pauvres et l’ensemble pourra difficilement fonctionner sans une modification importante du processus démocratique.
Bon, soyons positifs, imaginons que la nouvelle société post-COVID en prenne rapidement le chemin, la forêt française sera-t-elle sauvée ?
Les schémas actuels les plus ambitieux pour la transition énergétique
misent gros sur la biomasse forestière
Les schémas actuels les plus ambitieux pour la transition énergétique misent gros sur la biomasse forestière, misent assurément TROP gros sur elle ! L’association européenne FERN avait calculé, il y a 3 ans, que les objectifs annuels européens en bois énergie équivalaient à la totalité de la récolte de bois européenne annuelle. Ce chiffre montre bien le dérapage dangereux d’une ambition démesurée pour le bois énergie. En effet tous les autres usages du bois devraient passer avant le bois énergie (stockage du carbone pendant la durée de vie de l’objet bois). Pour la France, les hypothèses les plus ambitieuses en terme de transition énergétique sont basées principalement sur un rapport de l’INRA de 2016 avec une vision productiviste qui recommande une augmentation des prélèvements très importante, une industrialisation de la forêt et un remplacement massif d’essences, notamment pour « prévenir le changement climatique ». Un volume de bois inatteignable sans créer des forêts de productions dédiées à la biomasse. C’est à dire une sélection d’essences à croissance rapide plantées en monoculture et récoltées par coupes rases de plus en plus jeunes. Des champs d’arbres à brûler sur le pire modèle agro-industriel… et un désert écologique. D’autres pistes existent comme le montre la synthèse de la science et les modèles proposés par Canopée, Fern et Amis de la Terre dans la publication « Gestion forestière et changement climatique – Une nouvelle approche de la stratégie Nationale d’atténuation » mais ne sont pas prises en compte actuellement.
La mise en œuvre sérieuse d’une transition énergétique indispensable,
risque, en l’état actuel des choses, de ne pas se traduire
par une évolution très positive pour la forêt.
Bref, si on obtient la mise en œuvre sérieuse d’une transition énergétique indispensable, elle risque, en l’état actuel des choses, de ne pas se traduire par une évolution très positive pour la forêt.
Dans tous les cas de figure, le combat en cours stoppé par le confinement est donc essentiel pour les mois qui viennent. Si nous n’obtenons pas maintenant rapidement un recadrage de la politique forestière, il sera encore plus difficile à obtenir si la biomasse devient un pilier surdimensionné de la politique énergétique.
Personne d’autre que nous, (les citoyens et les associations engagées pour une gestion forestière respectueuse de l’environnement) ne fera le boulot. Alors dès que ce sera possible il va falloir nous remobiliser pour faire comprendre l’importance de l’écosystème forestier, trop longtemps oublié au profit d’une vision exclusivement économique.
La politique forestière et agricole française qui conduit à la destruction de la biodiversité n’a pas grand chose « à envier » aux plantations, plus exotiques, de palmier à huile. Contrairement à ce qu’on essaye de nous faire croire, l’État français contribue, par ses choix économiques, à affaiblir dangereusement la biodiversité ainsi que la potentialité de résilience et de régénération de la forêt.
Nous mobiliser pour obtenir
un changement de la politique forestière et agricole
Plus que jamais, préparons-nous à nous mobiliser pour obtenir un changement de la politique forestière et agricole. Il n’est pas trop tard, mais il y a urgence. Il faut maintenant obtenir des règles environnementales sérieuses pour préserver la biodiversité et la résilience des forêts. C’est possible de le faire tout en prélevant du bois (en augmentant pas ou peu les prélèvements), il s’agit maintenant de « volonté politique » et de pression citoyenne sur les politiques.
À bientôt, on compte sur vous.
Anne Faisandier
Nicolas Henry
Régis Lindeperg
Co-présient(e)s de Adret Morvan
Photo : Jean-Luc Pillard