Sur la page Facebook d’Adret Morvan, l’Office National des forêts (ONF) a réagi à notre article/portrait de Yohan Pelux. Nous remercions vivement l’ONF de s’intéresser à nos publications. Cependant, nous sommes contraints d’apporter quelques précisions à nos lecteurs. En effet, l’ONF, comme l’essentiel de la filière, utilise un certain nombre d’éléments de langage produits par leur service de communication qui sont factuellement vrais, mais méritent un décryptage qui montrera qu’ils sont incomplets, partiaux, voire faux, ou en tout cas qu’ils ne répondent pas aux problématiques soulevées dans l’article.
ONF : Mesdames, messieurs,
Les équipes de l’Office national des forêts ont vu passer votre article et souhaitent donner des éléments de réponse concernant les propos tenus dans votre article :
Dans votre article, vous évoquez la gestion des forêts publiques par l’ONF. Il faut savoir que l’établissement gère ces forêts, propriété de l’Etat, des collectivités territoriales… durablement en prenant en compte les aspects environnementaux, sociétaux et économiques.
Infos à ce sujet : https://www.onf.fr/onf/lonf-agit/+/15::gerer-les-forets.html
ADRET MORVAN: Bon, ça, c’est effectivement ce qui est écrit dans les textes. Mais quand on sait que la coupe rase fait partie de la gestion durable, on comprend assez vite comment l’État cache des pratiques de plus en plus délétères de la filière derrière un jargon qui n’a plus aucun sens. Aujourd’hui, l’objectif prioritaire demandé par l’État à l’ONF, c’est d’assurer son équilibre financier et fournir du bois à la filière à un prix compétitif, au détriment des aspects environnementaux, sociétaux et économiques. 38% des emplois de l’ONF ont été supprimés en 20 ans et le gouvernement multiplie les manœuvres pour réduire les effectifs et remplacer les fonctionnaires par des salariés de droit privé. Les syndicats dénoncent des restructurations purement économiques qui dénaturent le travail des agents et qui sont souvent contraires à l’éthique des forestiers, entraînant des conditions de travail souvent désastreuses et un nombre de suicides important des agents, encore plus élevé qu’à France Télécom dans les années 90 (rapporté au nombre d’agents).
Nous dénonçons donc ce discours lénifiant de l’État et de la direction de l’ONF, mais nous respectons les fonctionnaires de terrain coincés entre des directives de leur hiérarchie, leur conscience de forestiers respectueux de la forêt et le public qui, légitimement, proteste contre la pression montante sur les forêts publiques.
ONF: Les forestiers interviennent pour favoriser la croissance des plus beaux arbres, assurer le renouvellement de la forêt, protéger la biodiversité et répondre à la demande en bois de la société.
ADRET MORVAN: Ça, c’est ce que devrait être l’ONF et dans le bon ordre. Dans les faits, c’est la demande en bois de la société qui prime sur tout le reste.
ONF: Les coupes de bois opérées par l’ONF s’intègrent dans une gestion durable de la forêt, résumée dans un document de gestion appelé « aménagement forestier », qui programme les actions à mener en forêt sur une période de 20 ans en partenariat avec les acteurs locaux.
Lisez notre dictionnaire forestier pour aller plus loin : https://www.onf.fr/…/7f6::lamenagement-forestier-le…
ADRET MORVAN: Oui, sauf que concrètement l’État s’est opposé à ce que le Parc Naturel Régional donne un avis sur les aménagements forestiers de l’ONF. La concertation avec les populations est un peu légère : par exemple, en près de 10 ans d’existence, jamais Adret Morvan n’a été invité à une réunion de concertation d’un plan d’aménagement forestier.
ONF: Autre élément important à avoir en tête au niveau national : la coupe de bois est envisagée pour ne jamais prélever plus que le taux d’accroissement naturel des forêts.
ADRET MORVAN: Là, le mot important c’est « national ». Au niveau national, c’est vrai. Mais cette affirmation n’a que peu de sens au niveau national. En effet, l’application de ce principe est aussi utilisée par la sylviculture douce mais au niveau de la parcelle. Et ça change tout. En effet, en France environ 25 % de la surface forestière n’est pas géré pour différentes raisons : classement (1% !), zones de montagne inaccessibles, forêts non rentables à exploiter, petits propriétaires qui n’exploitent pas…
25% n’est pas géré, mais le Morvan, par exemple, est surexploité (plus facile et plus rentable que la forêt méditerranéenne.) Ce raisonnement au niveau national est bien notre problème principal. À Urmatt en 2009, Sarkozy, dans un discours simpliste, annonçait un objectif de prélèvement au niveau national de 100% de l’accroissement. C’est sur cette base de raisonnement qu’ont été conçus la politique forestière depuis et le plan national forêt bois. La forêt publique n’est pas en reste puisqu’avec 25 % des surfaces, elle produit 40% de la récolte…
Ne pas prélever plus que le renouvellement sur chaque parcelle signifie une gestion pied par pied et à couvert continu (il y a toujours des arbres). Autrement dit, on coupe quelques arbres à chaque intervention, mais beaucoup plus régulièrement. Ce qui permet de conserver un couvert forestier permanent. Pas de coupes rases ni d’éclaircies trop fortes. Ça fonctionne très bien en préservant biodiversité, sols, eau et stockage du carbone. La pertinence économique de ce modèle a même été démontrée par Prosylva.
ONF: La forêt française, entretenue, gérée et récoltée depuis des siècles par l’homme, n’est pas détruite ni en danger.
ADRET MORVAN: Bon, la forêt française aurait probablement disparu si le charbon n’était pas arrivé au XIXe siècle. Le Morvan est bien placé pour le savoir, vu que l’essentiel de ses forêts ont été détruites pour approvisionner Paris en bois énergie.
La forêt n’est pas encore complètement détruite, mais elle est réellement en danger. Et ce n’est pas une question de surface, c’est une question de sylviculture. La plantation en monoculture, ici comme sur d’autres continents, ne peut pas être considérée comme une forêt écologiquement parlant. Une forêt de douglas se rapproche plus écologiquement d’un champ de maïs que d’un écosystème forestier équilibré.
On ajoutera que la forêt n’a pas besoin de l’homme pour l’ « entretenir ». Au contraire, globalement, plus l’homme intervient, plus elle perd en résilience et en biodiversité. Par contre, l’homme a besoin de la forêt pour produire du bois, d’où l’intérêt, non pas de l’entretenir, mais d’y pratiquer une sylviculture (si possible respectueuse de l’environnement) pour produire le bois de qualité nécessaire à de nombreux besoins de l’humanité.
ONF: Voici quelques chiffres importants à connaître : les forêts métropolitaines françaises ont doublé depuis 1830 et la forêt continue de croître chaque année de 70 000 hectares.
Sur le territoire métropolitain, la moitié de l’accroissement des arbres des forêts métropolitaines est prélevée chaque année pour différents usages (bois d’ameublement, bois de construction, bois-énergie, bois de trituration destiné à la fabrication de papier…).
ADRET MORVAN: Vrai, mais elle croît quand même moins vite ces dernières années, d’où l’intérêt de repartir de 1830 pour la démonstration… 1830, c’est aussi la période où dans le Morvan la forêt est abandonnée à elle-même, ce qui créera des niches écologiques riches mais une qualité de bois de faible valeur économique…
Ce que l’ONF ne dit pas c’est qu’en France 80% des arbres ont moins de 100 ans et que 50% des forêts sont conduites en monoculture. Celles-ci représentent une bonne part des accroissements de surface forestière récente.
Cela veut dire que, globalement, les arbres sont petits et que les forêts sont très jeunes. Or, un écosystème forestier se complexifie, s’enrichit en biodiversité et stocke de plus en plus de carbone avec l’âge pour trouver un équilibre entre 400 ans et 700 ans… Un potentiel énorme pour stocker du carbone ! Pour une monoculture d’arbre, surtout de résineux à courte rotation comme dans le Morvan, le terme “forêt”, même s’il est juridiquement juste, nous semble inadapté écologiquement pour qualifier cette culture d’arbre industrielle. On notera que la forêt de feuillus du Morvan type, abandonnée « en 1830 », frise les 200 ans d’âge sur des sols forestiers beaucoup plus anciens qui n’ont pas encore été tassés par les engins. Ce sont des forêts tout à fait intéressantes sur le plan écologique qu’il faudrait préserver de toute urgence de l’industrialisation au regard des délais impérieux rappelés par le dernier rapport du GIEC.
À la lecture de ce rapport, il est impératif que chaque élu et chaque institution (comme l’ONF) prennent la mesure des enjeux au niveau national mais aussi local. Pour notre territoire, préserver les dernières forêts feuillues du Morvan devrait être une priorité absolue pour la préservation des écosystèmes, de la biodiversité et des potentiels de captation de carbone de l’arbre et du sol forestier.
ONF: Pour vous répondre plus précisément sur les faits… Vous évoquez un jugement rendu. Or la Cour d’appel a confirmé que les faits reprochés étaient établis. C’est la sanction qui a été jugée disproportionnée. Les faits remontent à 4 ans, depuis un nouvel agent a été nommé sur le poste qu’occupait M. Pelux.
ADRET MORVAN: Vous oubliez de préciser les faits reprochés : accomplir une course personnelle sur son temps de travail. Une sanction bien trop lourde comparée à « la faute ». D’ailleurs, c’est aussi ce qu’a estimé la Cour d’appel de Nancy. On peut légitimement se poser la question : n’est-ce pas là une façon détournée de se débarrasser d’un agent trop gênant ?
ONF: Au sujet de l’exploitation forestière, nos équipes souhaitent également ajouter ceci. L’ONF élabore un cahier des charges spécifique à chaque coupe, qui fixe les obligations à respecter du début à la fin de l’intervention. Celui-ci a pour objectif de préserver le milieu forestier, les sols, le peuplement restant, les éléments patrimoniaux et également tous les équipements de la forêt (chemins, sentiers, mobiliers…).
Lors de la récolte des bois, les engins forestiers sont tenus de rester sur des axes de circulation privilégiés au sein des parcelles (les cloisonnements) afin d’éviter le tassement du sol sur toute la parcelle ce qui peut altérer le bon fonctionnement de la forêt. Les entreprises forestières disposent généralement d’un an à un an et demi pour achever le chantier d’exploitation des bois et remettre le site en état.
Infos à ce sujet : https://www.onf.fr/…/7e8::les-cloisonnements-ces…
ADRET MORVAN: Ça c’est ce que l’ONF faisait, mais qu’elle a de plus en plus de mal à tenir du fait d’une sous-traitance massive qui ne respecte souvent pas le cahier des charges et d’une baisse d’effectifs énorme qui freine les capacités de contrôle de l’ONF. La course aux armements qui projette des engins de plus en plus lourds dans les parcelles tasse irrémédiablement (ou au moins pour plusieurs centaines d’années en fonction des configurations) les sols forestiers. C’est un problème énorme qui réduira les capacités de production futures des sols et affecte le réseau hydraulique. Certes, l’ONF utilise souvent des cloisonnements, mais pas toujours, notamment dans le cas de coupes rases de résineux qui restent pratiquées dans le Morvan par l’ONF. Par ailleurs, le cloisonnement n’est pas non plus l’idéal à reproduire partout. Dans un certain nombre de forêts, d’autres techniques, moins invasives, pourraient probablement être utilisées (cheval, engin léger, câble…), si l’ONF était moins contrainte par les objectifs de rentabilité imposés par l’État.
ONF: Enfin, concernant les coupes rases : depuis 2018, plus de 300.000 hectares de forêts publiques en France subissent des dépérissements importants et un taux de mortalité inédit. La forêt connaît actuellement une crise sanitaire sans précédent. L’ONF pratique peu les coupes rases au niveau national, mais elles peuvent parfois être justifiées, notamment pour des raisons sanitaires : https://www.onf.fr/…/7f5::la-coupe-rase-une-decision-de…
Les parcelles d’épicéas font l’objet de coupes sanitaires pour éviter la propagation des insectes et récupérer le bois encore commercialisable. Ces coupes n’étaient pas prévues dans le plan de gestion et ont obligatoirement un impact paysager significatif.
ADRET MORVAN: Ces coupes sanitaires sont la conséquence directe de l’industrialisation de la forêt et des plantations en monoculture d’essences inadaptées à la station. L’épicéa est un arbre d’altitude qui n’a rien à faire dans le Morvan. La fragilité de ce type de plantation a livré cette essence aux scolytes.
Continuer d’industrialiser la forêt va affaiblir sa résilience face aux changements climatiques qui vont s’amplifier. Sur ce point, ce qui serait bienvenu c’est que l’ONF, (comme d’autres) soit en capacité de dire : « On s’est trompé, vous aviez raison… ». Ça permettrait d’ouvrir plus facilement le débat essentiel qu’il serait impératif d’avoir sur l’avenir de la forêt française.
ONF: Sur le site du Haut-Folin, il est prévu de diversifier davantage les essences.
ADRET MORVAN: Sur le principe, ça va dans le bon sens. Nous serions intéressés de comprendre comment et avec quelles essences…
ONF: Le paysage n’est pas figé, il évolue. Hors crise sanitaire, les coupes de régénération qui consistent à couper des arbres arrivés à maturité (70 ans pour le douglas, jusqu’à 200 ans pour le chêne) permettent à la fois de valoriser économiquement les bois et de régénérer la forêt en créant les conditions favorables à l’installation et au développement des jeunes pousses d’arbres.
Une fois la relève assurée, les derniers gros arbres sont récoltés pour permettre au jeune peuplement de prendre tout son essor. Et le cycle recommence. Les coupes de régénération, même si elles transforment le paysage en supprimant les grands arbres, préparent donc la forêt de demain.
ADRET MORVAN: Les coupes de régénération sont la spécialité de l’ONF. Nous reconnaissons qu’elles sont meilleures que les coupes rases car on évite ainsi la replantation d’arbres souvent inadaptés à la station (sol, contexte, expositions), mais on est quand même loin de la sylviculture douce… Les coupes de régénération consistent à couper tous les arbres, sauf les plus beaux qui vont ressemer des graines, la lumière aidant à la pousse. Une fois les petits arbres en développement, on enlève les derniers gros. Ce n’est pas vraiment une coupe rase, mais visuellement cela peut y ressembler vu qu’on supprime toute une forêt ancienne en quelques années. C’est pourquoi nous sommes pour le développement des forêts étagées (différents âges) et diversifiés (différentes essences).
Plutôt que de préparer la forêt de demain en coupant tout, on sait qu’il est possible de garder la forêt d’aujourd’hui, tout en prélevant du bois tout en préparant la forêt de demain, tout en conservant la biodiversité, tout en continuant à stocker du carbone, tout en préservant les ressources hydriques… Alors parlons-en sérieusement ?
ONF: Les forêts du Morvan sont fragilisées par le changement climatique au même titre que les autres forêts françaises. Les équipes de l’ONF s’efforcent de les rendre plus résilientes en diversifiant les essences et en adaptant les modalités de sylviculture.
ADRET MORVAN: C’est une très bonne nouvelle même si, clairement, ce n’est pas ce qu’on voit sur le terrain Nous serions très intéressés d’en parler pour mieux comprendre votre nouvelle stratégie sylvicole dans le Morvan.
ONF: Nous vous adressons nos salutations les plus respectueuses.
ADRET MORVAN: Sachez que nous respectons vos agents et que nous soutenons ceux qui n’admettent pas le travail de démolition de cette institution entrepris par l’État.
La politique actuelle (qui s’aggrave depuis 30 ans) visant prioritairement à équilibrer les comptes de l’ONF au détriment des objectifs historiques des services forestiers de l’État est déconcertante face aux enjeux démesurés auxquels la forêt et l’humanité sont aujourd’hui confrontés. Nous avons besoin d’un service public des forêts fort qui se devrait de montrer l’exemple en terme de gestion forestière en vue de protéger la biodiversité encore présente et de stocker du carbone. Nous avons aussi besoin d’un service public à l’écoute des citoyens et des associations.
Nous vous adressons aussi nos salutations les plus respectueuses.
Le CA d’Adret Morvan