Lettre ouverte aux députés.
Madame la députée, Monsieur le député,
Vous allez examiner le projet de loi Accélération de la Simplification de l’Action Publique (ASAP) et son article 33 qui concerne l’avenir de l’Office national des forêts (ONF). Loin d’en simplifier le fonctionnement ou de l’adapter pour répondre aux enjeux actuels, nous considérons, au contraire, que les dispositions de cet article en accélèrent le démantèlement et hypothèquent l’avenir de la forêt publique.
En proposant de généraliser les possibilités de recrutement d’agents contractuels de droit privé, cet article acte une dérive qui s’est installée depuis plusieurs années au sein de l’Office : le remplacement de fonctionnaires assermentés par des salariés de droit privé. Depuis trois ans, les concours de recrutement de techniciens forestiers fonctionnaires sont bloqués et les postes de gardes forestiers sont affectés massivement à des contractuels. La conséquence de cette politique est un affaiblissement de la protection des forêts. Au quotidien, les agents forestiers sont soumis à de nombreuses pressions pour couper davantage de bois, fermer les yeux sur des dégâts causés par l’exploitation forestière, sur des dérives liées à la pratique de la chasse ou encore sur des décharges sauvages en forêt. Le fait d’être assermenté leur permet de résister à ces pressions et donc de protéger au mieux la forêt et l’intérêt général. Pourtant, le projet du gouvernement est de confier à des salariés de droit privé l’ensemble des missions actuellement exercées par des fonctionnaires, ce qui inclut, par exemple, la recherche et la constatation des infractions pénales en matière forestière. Une incongruité relevée par le Conseil d’État et corrigée par le Sénat qui a amendé le texte pour préciser que seuls les agents assermentés sont habilités à rechercher et à constater ce type d’infractions. Les amendements apportés par le Sénat ne règlent qu’en apparence le problème car, depuis 30 ans, le nombre de gardes forestiers assermentés est passé de 9000 à 3000 sur l’ensemble des forêts publiques soit 10% du
territoire. L’application en l’état de l’article 33 de la loi ASAP permettrait d’en réduire encore fortement le nombre au détriment de la protection des écosystèmes forestiers. Travaillant le plus souvent seuls et avec des surfaces de forêts à gérer toujours plus grandes, les agents assermentés ne sont déjà plus en capacité de remplir les missions de protection qui leur sont confiées par la loi. Alors que les réformes de l’ONF se succèdent depuis 15 ans, ils dénoncent une perte de sens de leur métier. Les liens de confiance qui s’étaient tissés entre l’ONF, les élus et les citoyens s’étiolent peu à peu. Tout ceci a des conséquences dramatiques: depuis 2005, on recense plus de 50 suicides à l’ONF, un taux plus fort qu’à France Télécom (devenu Orange) rapporté à l’effectif.
De plus, les enjeux écologiques et les attentes sociétales par rapport à la forêt sont en pleine évolution. Au-delà de la production de bois, la forêt procure de nombreux bénéfices non-marchands environnementaux (biodiversité, stockage de carbone, purification de l’eau…) et sociaux (santé publique, tourisme, loisirs …) qui ne sont pas aujourd’hui financés par la collectivité et qui pourraient être remis en cause par une privatisation rampante des missions de l’ONF. Ainsi, nous sommes très inquiets par la proposition de modifier la gouvernance de l’ONF en réduisant le nombre de membres de son conseil d’administration qui passerait de 30 à 12 membres. Une proposition qui pourrait conduire à écarter les représentants des associations de protection de l’environnement ou encore des collectivités locales au profit des seuls intérêts économiques des acteurs de la filière forêt-bois.
Dans le cadre du plan de relance, le gouvernement a annoncé un plan de soutien à la filière forêt-bois mais ne prévoit aucune augmentation du budget de l’ONF, pourtant en déficit structurel depuis plusieurs années. Rappelons que la Convention Citoyenne sur le Climat appelle, à l’inverse, à renforcer les garanties protectrices de service public apportées par l’ONF. Cette convention appelle également à renforcer les effectifs de l’Établissement public qui rien qu’en 2019 ont été amputés de 400 suppressions de postes soit 1 emploi sur 20 : l’ONF est en voie de disparition physique. Le Président de la République s’est engagé à ce que les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat soient débattues au parlement. À l’heure du changement climatique, les choix à faire pour les forêts et l’avenir de l’ONF méritent mieux qu’un débat tronqué au détour d’un article d’une loi de simplification administrative.
En attendant que s’ouvre ce débat, nous vous appelons à rejeter les dispositions de l’article 33 du projet de loi ASAP.
Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions, Madame, Monsieur, de bien vouloir recevoir l’expression de nos salutations les plus respectueuses.