Peyrelevade, le 02/04/2023
A l’appel d’un syndicat forestier, une manifestation s’est déroulée le lundi 6/03 dernier sur le site du désormais célèbre Bois du Chat à Tarnac pour soutenir le propriétaire et l’exploitant qui souhaitent effectuer une coupe rase de cette forêt de feuillus.
Je n’y étais pas présent et n’avais pas non plus souhaité participer aux rassemblements précédents pour s’opposer à cette coupe, mais comme cet évènement a maintenant clairement pris une tournure politique qui va au delà de la commune de Tarnac. Je vous livre à mon tour cette lettre ouverte, mon coup de gueule, ou mes réflexions plus ou moins brouillonnes sur cet évènement, cette coupe et la gestion forestière sur le plateau.
1) Plusieurs élus locaux sont venus sur le site avec leur écharpe!
Le maire de Tarnac qui cherche avant tout à apaiser la situation sur sa commune n’avait pas relayé cet appel à manifester. Combien des élus en écharpe avaient pris la peine de le contacter pour lui demander son avis sur la situation ou pour le prévenir de leur venue? Aucun! Monsieur le Président de l’Association des Maires de la Corrèze, votre démarche et celle de nos collègue est totalement scandaleuse. Il y a des principes qui sont pourtant simples. En tant que maire, quand on se déplace avec son écharpe sur une autre commune pour problème local, c’est soit qu’on vient en solidarité avec le maire de la commune, soit qu’on vient à son enterrement… Etes-vous le représentant des Maires de la Corrèze ou le représentant d’intérêt privés? Monsieur le Conseiller Départemental, votre mail appelant à la mobilisation envoyé aux élus (presque tous) du canton depuis votre boite mail de fonctionnaire de la Direction Régionale de l’Agriculture et de la Forêt est un mélange des genres pour le moins tendancieux… le devoir de réserve des fonctionnaires n’existe plus?
2) J’invite tous les participants à repasser sur le site au début du printemps quand les hêtres vont débourrer leurs feuilles. Peut être que certains d’entre vous s’émerveilleront devant la beauté des lieux et que ça pourra aider à la réflexion pour les prochaines tables rondes qui ont été annoncées. Comme d’autres futaies de feuillus, cette forêt du bois du chat est un lieu emblématique et patrimonial de notre territoire et il faut la conserver.
3) Le principal argument invoqué par les élus et les représentants de la filière: « la loi rien que la loi! »
Ah la bonne blague!!!
Chers collègues maires, j’imagine que dans vos communes tous vos bâtiments et espaces publics sont conformes à la loi sur l’accessibilité pour les personnes handicapées. J’imagine que vos personnels respectent toujours les règles du droit du travail (habilitation, équipements, sécurité). J’imagine aussi que vous respectez la loi dans vos cantines scolaires (marche en avant, repas végétarien) et que tous les assainissements individuels de votre commune sont aux normes parce que vous avez fait jouer votre pouvoir de police pour contraindre les propriétaires… je l’avoue… à Peyrelevade on est pas du tout en règle sur tous ces points.
Messieurs les professionnels de la forêt, n’y a t’il pas des distances à respecter pour les plantation le long des routes et des cours d’eau? J’imagine que tous vos chantiers sont tous en règle? N’y aurait-il pas aussi des limitations de tonnage à respecter pour le transport de bois rond?
Monsieur le président de Fibois, peut être pouvez-vous demander à la préfecture d’ordonner des contrôles puisque nous savons tous que les camions de bois roulent en surcharge et que personne ne respecte la loi. Monsieur le président de la chambre d’agriculture, il me tarde d’assister à la prochaine réunion à propos du loup pour vous entendre expliquer qu’il faut appliquer la convention internationale qui le protège!
La loi rien que la loi… surtout quand ça vous arrange et chez les autres!
4) On a également lu ou entendu l’argument selon lequel « la forêt n’est pas un bien commun »
Ok… si on suit ce raisonnement… continuons à la déforestation de l’Amazonie qui est pourtant décrit comme « le poumon vert de l’humanité », définition qui ressemble assez bien à l’idée d’un bien commun.
Ou alors peut être que cette notion ne s’applique que dans les pays du tiers-monde?
5) On entend aussi souvent la rengaine disant que « le propriétaire fait ce qu’il veut chez lui ! »
Et bien d’une manière générale heureusement que non… mais c’est peut être un peu ça le problème dans la forêt!?
A titre de comparaison, nous venons de voter à Haute-Corrèze Communauté notre Plan Local d’Urbanisme et d’adopter le règlement qui va avec. Les élus membres d’HCC présents au rassemblement ont me semble t’il tous votés pour l’adoption de ce document qui vise justement à contraindre le propriétaire et à l’empêcher de faire ce qu’il veut chez lui.
On est donc capable de faire 250 pages de règlement pour expliquer aux gens que la clôture de leur jardin doit faire telle hauteur, que leur façade doit être de telle couleur, que la pente du toit de leur garage doit faire tel % et que la fenêtre des chiottes à l’arrière de la maison doit être de tel matériaux… Par contre, on est incapable de remettre en question la coupe d’une forêt de feuillus qui fait partie de notre paysage et de notre patrimoine depuis plusieurs générations. N’y a-t’il pas un décalage énorme au niveau des enjeux ?
La forêt ne concerne pas que les forestiers… il est donc grand temps de l’appréhender en terme d’occupation de l’espace en tenant compte collectivement de ses fonctions productives bien sûr mais aussi environnementales et sociales. Est-ce que le PLUI pourrait être l’outil réglementaire qui réponde à ces problématique ?
Peut être qu’il y a des sommets qu’il ne faut pas reboiser pour garder un paysage ouvert. Peutêtre qu’il y a des villages où la forêt est trop proche des maisons et qu’il faut faire reculer. Peut être qu’il y a des forêts naturelles de feuillus, des bosquets, des alignements ou des arbres remarquables qu’il faut conserver…
Cela va être injuste pour les propriétaires concernés? Pas plus qu’en matière d’urbanisme et de droit du sol ou les collectivités et les élus décident si un terrain est constructible ou non, au nom de l’intérêt général et de l’aménagement l’espace!
6) Une idée en passant… Avec quelques amis nous avons décidé de créer une association pour la protection des houx. L’objet reste encore à définir par contre le siège social est d’ores et déjà fixé au restaurant Chez Nanou à Millevaches.
7) Il semblerait que certains professionnels présents à la manifestation ne soient pas spécialement venus de gaité de coeur défendre un exploitant dont ils ne partagent pas les pratiques… mais bon…c’est le président de l’interprofession qui les a convoqué et ils ont répondu aux amicales pressions de la filière…
8) La mécanisation est un progrès social pour ceux qui travaillent dans la forêt. Sauf à faire revenir des ouvriers bûcherons de l’autre bout du monde payés au lance pierre, personne n’est capable (en tout cas pas moi) de travailler dans la forêt avec les conditions de travail d’il y a 40 ans.
Ces dernières années, de nombreux jeunes du territoire ou d’ailleurs se sont lancés dans cette filière grâce à cette évolution du métier… Ce qui leur a permis de lancer leur entreprise, de vivre et de faire vivre le territoire.
Par contre, si ce n’est pas déjà trop tard… il ne faudrait pas reproduire les même erreurs en forêt qu’en agriculture ou la course à l’équipement conduisent nos paysans et surtout leurs comptes d’exploitation dans le mur.
En forêt aussi, on a un peu l’impression que c’est encore à celui qui aura le plus de tracteurs, le plus puissant, le plus rouge, le plus vert, le plus beau et le plus neuf que son voisin…
Au final, ils bossent comme des chiens pour rembourser les crédits d’un matériel dont ils n’ont pas forcément besoin…
9) Peyrelevade est une commune forestière, même si le taux de boisement y est moins important que celui de la plupart des communes du Plateau. Sur les 6600 ha que compte la commune, les chantiers d’exploitation forestière y sont permanent (une dizaine ouverts en même temps)
Même si globalement, sur le terrain les choses se passent au mieux avec les exploitants avec qui une relation de confiance s’est installée avec le temps. Pour les élus communaux, exploitation forestière = emmerdement maximum. Il ne se passe pas une semaine sans que le 1er adjoint fasse le tour de la commune pour aller vérifier l’état des chemins, pour signaler qu’une conduite d’eau passe au travers de la parcelle exploitée, pour s’assurer qu’on ne nous a pas laissé un tas de bois dans le fossé, qu’on ne nous a pas bouché une traversée busée, que le ruisseau n’est pas dfoncé, que les camions sortent le bois par l’itinéraire qu’on a demandé…
A la fin du chantier, on est heureux comme des papes quand a réussi à négocier un coup de lame qui va remettre le chemin propre (jusqu’au prochain orage) et on sort presque le champagne si l’exploitant nous ramène un camion de tout-venant!
Les élus des communes forestières sont des acteurs bénévoles de la filière pour aider à l’organisation de chantier qui la plupart du temps n’ont aucun intérêt direct pour leurs communes et leurs habitants et coûtent de l’argent à leurs contribuables.
10) Il me revient souvent en mémoire les propos que tenait régulièrement Georges Pérol en réunion du PNR à propos de la forêt. Pour ceux qui ne le connaisse pas, Georges a été directeur de la DDA de la Corrèze dans ses jeunes années, puis Maire de Meymac, Conseiller Général et Vice-Président du Conseil Général, Vice-Président du PNR à sa création et accessoirement directeur de l’Office HLM de Paris à sa grande époque… On ne peut donc pas le considérer comme un gauchiste ou un écologiste !
Pour autant, au nom des communes du Plateau, il parlait de la forêt comme d’une foret de type colonial!
Les mots sont forts mais ils ont un sens… Il entendait par là que la valeur ajoutée générée par la forêt ne retombait pas ou très peu sur les communes du Plateau. Les propriétaires n’habitent plus ou pas le territoire, mis à part les travaux de replantation l’argent qu’ils récupèrent après une coupe n’est pas réinvesti localement. Les entreprises de 1ère et 2nd transformation du bois ne sont pas située dans le massif et les communes ne perçoivent aucune retombées fiscales de la part de ces entreprises. Il y a bien sûr quelques emplois directs (5 à Peyrelevade) et des retombées indirectes pour le commerce local… mais cela est totalement dérisoire au regard de l’activité économique globale de la filière.
En gros, pour les communes, la forêt ça se résume souvent à limiter les dégâts lors de l’exploitation et à regarder passer les camions sur la route!
Monsieur le Député, dans la prochaine loi transpartisane à laquelle vous avez proposé de contribuer, pourquoi ne pas proposer que la fameuse Contribution Volontaire Obligatoire (il fallait l’inventer!) que doivent (ou pas?) payer les propriétaires pour alimenter les caisses de la filière se transforme en Contribution Communale Obligatoire pour aider les commune à entretenir leur patrimoine ou à acquérir de la forêt?
On pourrait aussi imaginer que les entreprises d’exploitation et de 1ère transformation payent une partie de leur fiscalité là où elle travaillent et ou elle prélèvent la ressource qui les fait fonctionner. Sans la forêt des communes du Plateau, il y aurait moins d’activité à Saillat et à Egletons.
11) Le Centre National de la Propriété Forestière avec ses antennes régionales est le « bras armé » de l’Etat pour mener la politique forestière. C’est un Etablissement Public dont la mission est d’orienter la gestion des forêts privées, de conseiller et de former les propriétaires, de donner un avis sur toutes les questions liées à la filière bois…
Le Conseil d’administration du CNPF est essentiellement composé de propriétaires forestiers issus des différentes régions. Il y a une chose qui saute au yeux quand on regarde sa composition c’est le nombre de personne avec un nom à particule… Il y en a 19 sur les 48 membres titulaires et suppléants soit 39%!
Je n’ai personnellement rien contre ces personnes sans doute passionnées et très compétentes en matière de gestion forestière… mais quand on sait que la moyenne nationale est de 0,8%… la réalité est pire qu’une caricature!
Ça laisse quand même un peu supposer que les grandes orientations du CNPF sont portées par les grands propriétaires… et que les politiques forestière nationales et régionales vont aller dans le sens des grands propriétaires.
Je pense que le CNPF bénéficie d’argent public pour fonctionner, il faudrait donc peut être ouvrir un peu plus son Conseil d’Administration au élus et au monde associatif… histoire de porter un autre regard sur la propriété forestière.
12) Le douglas est assurément un bois noble avec des qualités techniques naturelles remarquables pour la construction et ses dérivés. Actuellement (on verra dans 30 ans) c’est sans doute une des essences les plus adaptée à nos « stations forestières » du Plateau et assurément la plus rentable.
Sauf que cette monoculture, sans doute dangereuse économiquement à long terme, est devenue nuisible à nos paysages et à nos traditions… et le discours de certains propriétaires tels Gollum ou Soprano avec leur « précieux » est devenu insupportable.
La vision des habitants serait sans doute différente si les cèpes poussaient en dessous ou que les bécasses s’y abritaient…
Malheureusement ce n’est pas le cas… même les ronces n’y poussent pas… et il n’y a rien de plus triste qu’un champ de douglas bien sombre sans aucune vie.
13) Des aides publiques ou exonérations fiscales favorisent le reboisement.
C’est une bonne chose si on veut assurer le renouvellement de la ressource. Par contre, peut être qu’on pourrait être plus exigeants sur certains aspects…
Monsieur le Député, pourquoi les aides publiques pour les replantations ne serait-elles pas conditionnées à une véritable mixité de peuplement?
Sur le même thème, Monsieur le Député, dans la prochaine loi sur la forêt, pourquoi ne pas proposer que les aides publiques de l’Etat ou des Collectivités locales soient conditionnées à des plafonds de revenu des propriétaires?
A titre de comparaison, et je sais que vous connaissez bien ces dispositifs pour avoir participé avec vous à certaines réunions sur le sujet, c’est bien le cas dans toutes les politiques qui concernent l’habitat.
Quel est l’intérêt de donner des financements à un propriétaire qui n’en a pas besoin?
Monsieur le Président de Haute Corrèze Communauté, plutôt que de mettre de l’huile sur le feu dans la presse, peut être qu’on pourrait chercher à savoir à qui sont attribués les 30 000€ qu’HCC verse chaque année au Fonds Forestier en Limousin et pour quoi faire?
14) Ce n’est pas si facile que ça d’être propriétaire forestier et quand c’est pertinent, la coupe rase doit pouvoir rester un mode de gestion et d’exploitation.
Je suis moi-même propriétaire d’une parcelle d’une dizaine d’hectare située aux sources de la Vienne, contenant une partie de zone humide, de la lande, des pins sylvestres et 3 ilots d’épicéa représentants 3ha au total.
J’ai fait exploiter ces parcelles il y a 4 ans. L’exploitant m’avait préconisé une coupe rase mais je lui demandé de réaliser une simple éclaircie un peu par idéologie..
Comme elle a été réalisée trop tardivement (ce bois était aussi un bon coin de cèpes), après plusieurs épisodes de neige grasse et quelques bon coups de vent… au moins un tiers des têtes des arbres restants se sont cassées.
Résultat, il est revenu 2 ans après pour tout couper… Bilan carbone et économique pas terrible!
A cette occasion, j’ai pu constater les contraintes qui pèsent sur un exploitant entre le propriétaire qui doit financer les travaux de rénovation de sa maison et qui presse un peu l’exploitation, le classement Natura 2000 qui préconise des périodes de coupe, la commune qui en préférerait d’autres, la disponibilités des engins…
Ensuite pour le reboisement, j’essaie d’écouter les conseils des uns et des autres… chacun y va de sa version et il y a souvent une monde entre la théorie et la pratique en fonction de la nature du sol, de l’altitude, de l’exposition, du changement climatique, des besoins en eau…
Quand on doit mettre 3000 ou 4000€/ha pour reboiser… même si on veut bien faire les choses pour concilier tous les aspects de la forêt… on a surtout envie que ça pousse afin de transmettre un petit patrimoine à ses enfants.
Au final le propriétaire (petit ou grand) est quand même un peu seul face à ses doutes et face au risque financier qu’il engage… A moins d’être vraiment passionné et d’avoir du temps à y consacrer… On comprend pourquoi la plupart des propriétaires laisse faire les coopératives et les experts pour gérer leur forêt… et faire la pluie et le beau temps!
15) Je condamne les agissements malveillants qui ont pu avoir lieu ces derniers mois à l’encontre des entreprises de travaux forestier. C’est totalement contreproductif et ça ne fait que renforcer les antagonismes entre des personnes qu’il faut arriver à faire discuter ensemble.
Par contre, je soutiens le collectif qui a organisé la mobilisation autour du bois du chat tant sur le fond que sur la forme.
16) Monsieur le Préfet, finalement on peut se garer ou pas leur la route le long du Bois du Chat?
17) Je ne m’appuie pas sur une étude scientifique poussée au delà de discussions de bistrot…
pour affirmer qu’une bonne partie des habitants de la commune en ont autant marre du discours de ceux qui pensent que couper un arbre est quasiment un crime contre l’humanité et que tous les exploitants forestiers sont des assassins… que de ceux qui pensent que le moindre m2 de terrain doit être exploité pour être rentable économiquement et qui prononcent le mot écologie avec toujours plus de mépris… Peut être qu’il existe un espace entre les deux…?
18) Autre réflexion basée sur la simple observation des gens du coin. Au rythme où on tape dans les buttes en ce moment (merci le plan de relance)… combien de temps faudra t-il avant qu’on n’ait plus rien à couper?
Alors est-il vraiment nécessaire de toujours augmenter nos capacités de sciage… ou alors le projet c’est de se gaver et de délocaliser en Pologne dans 20 ans?
19) Moi aussi, Monsieur le Président du Conseil Départemental, j’espère que la manifestation du Bois du Chat sera un acte fondateur pour la filière… Celui d’une profonde remise en question des pratiques.
20) En visitant le musée de la Résistance consacré à Henri Queuille à Neuvic, on y apprend qu’il avait lancé la fête de l’Arbre et de l’Oiseau en 1923 et qu’il s’agissait pour lui de « frapper les jeunes imaginations, de leur inculquer le culte des arbres, le respects des belles richesses verdoyantes que la nature fournit à l’homme avec tant d’abondance et que l’homme, hélas! Gaspille si souvent »…. A méditer…
Pierre Coutaud, Maire de Peyrelevade, habitant du plateau, petit propriétaire forestier, randonneur pédestre et VTT occasionnel, ramasseur de champignons dans mes bois mais aussi chez les autres…